Fini de rire
Monsieur Omar Terrallos a donné une conférence hier à l’hôtel Mercure sur une nouvelle théorie de l’écoute musicale, actuellement en cours d’écriture. La chaleur et la facilité d’expression toute relative de Monsieur Terrallos en langue anglaise n’ont malheureusement pas permis que la conférence rencontre le succès qu’elle méritait. Voici un résumé sommaire de l’exposé à toutes fins utiles, ou du moins une reformulation de ce qu’il m’a été donné de comprendre.
M. Terrallos postule que l’écoute musicale exige une suspension de l’incrédulité (willing suspension of disbelief), à l’instar des écrits de fiction, du cinéma ou du théatre. En effet, il est essentiel d’oublier la main du compositeur/démiurge (demiurge composer) et de considérer l’œuvre musicale comme une création instantanée (instantaneous creation).
Je n’ose pas tenter de traduire le mouvement de la pensée de M. Terrallos, qui fait ici intervenir Saint-Augustin et Husserl pour poser quelques axiomes concernant la perception du temps, les phénomènes sonores et la volonté sensible (sensitive will). Mais voici l’axe central de sa théorie : les phénomènes sonores ne sont jamais perçus par la volonté sensible comme arbitraires (même si ils le sont objectivement !). Ils sont au contraire et de façon évidente perçus comme l’expression d’une ou de plusieurs volontés de puissance (will to power). Ce sont ce ou ces volontés de puissance qui vont créer le discours musical, et on retrouve ici l’analyse traditionnelle construite sur des tensions/résolutions.
En pratique, une écoute positive (positive listening) consiste à identifier les volontés de puissance et à suivre leur combat permanent. Ces volontés peuvent être temporairement attachées à un instrument, à un registre, à une phrase musicale… Le compositeur/démiurge n’est qu’un metteur en scène de ces combats, et n’est donc ni central ni nécessaire. Ainsi, l’écoute positive de bruits (musique concrète) ou l’improvisation libre (free improvisation) sont possibles.
Suivent de nombreux exemples et analogies, notamment avec le théâtre. Lors d’un concert, le respect de la partition est secondaire : l’essentiel est l’affirmation du ou des discours. Voir des musiciens suivre leur partition ne présente qu’un intérêt limité, comme une lecture théâtrale. La suspension de l’incrédulité doit permettre un émerveillement renouvelé, par exemple à chaque fois qu’un orchestre démarre ou s’arrête à un instant précis. Si les musiciens sont attachés à leur partition, l’auditeur peut alors trouver nécessaire de fermer les yeux afin de se plonger dans l’écoute positive.
M. Terrallos a conclu son exposé avec un enregistrement de trompette solo, par M. Axel Dörner. Il m’a semblé que toute l’assistance (ou ce qu’il en restait) gardait les yeux fermés.